Je vais déposer ici une étude instructive. Je pourrais mettre le lien internet mais j'ai préféré copie collé les passages les plus intéressants. C'est une information globale sur le devenir d'un enfant abusé sexuellement, les diverses formes d'abus sexuel et leur conséquences. Ce qu'il faut comprendre dans cette étude c'est qu'il faut réagir vite avant que les symptômes identifiés ici soient de plus en pus graves surviennentLe devenir à long terme
des enfants et des adolescents
victimes d'abus sexuel
J.-Y. Hayez
Psychiatre infanto-juvénile, docteur en psychologie, professeur émérite à la Faculté de Médecine de l'Université Catholique de Louvain.
En 2007, à Montpellier, l'association des psychiatres régionale m'a invité à faire une conférence sur les conséquences à long terme de l'abus sexuel.
I. IntroductionExiste-t-il des effets à long terme des abus sexuels commis pendant l'enfance ou l'adolescence des victimes ? Si oui, quels sont-ils ? Nécessairement de la psychopathologie, ou aussi des réorganisations du fonctionnement de la personnalité plus « neutres », voire positifs ? Et peut-on faire des prédictions à ce propos ? Toutes questions aussi pertinentes que complexes !
I. D'abord, le concept d'abus sexuel est un fourre-tout ( Green A, 1993 ) Il regroupe des événements sexuels qui, vus de l'extérieur, constituent bien des agressions d'une victime, mais dont la gravité est variable, du moins statistiquement parlant. Il existe tout un monde entre les « épines sexuelles », fréquentes, n'amenant chez la majorité que des égratignures morales, et les abus les plus sordides et les plus destructeurs.
II. Les faits d'abus prennent place dans des contextes relationnels très variés. La personnalité de base de l'enfant qui les subit est variable, elle aussi : parfois même, elle l'a poussé à se déplacer spontanément sous l'oeil du cyclone, ou aux mains de quelqu'un que lui ne ressentait pas comme un abuseur.
Le patrimoine génétique de cet enfant est très variable, lui aussi, et le prédispose par la suite, conjointement à d'autres facteurs, à des réactions très différentes dans le champ de l'angoisse, de la dépressivité, de 'agressivité, etc. ... L'on sait aujourd'hui que, face à un même abus et en référence aux gènes,
il peut se produire des modifications cérébrales durables qui constitueront elles aussi des facteurs opérants de tout ce qui va suivre.
Enfin, la réaction sociale qui suit l'éventuelle découverte des faits est également des plus variables ... :
Ce sont tous ces éléments qui, finalement, vont provoquer les éventuelles modifications de la personnalité qui nous occupent ici. Donc, pas de causalité linéaire simple. Nous y reviendrons dans le second paragraphe.
III. Entre ce que l'on peut appeler d'une part la sexualité désirée par l'enfant ( ou consentie, agie par lui en sa qualité d'agent responsable ), et d'autre part la sexualité contrainte ( ou subie ), il existe un monde de l'entre-deux :
l'enfant veut et ne veut pas à la fois.
Evidemment, si celui qui sollicite l'enfant est un adulte ,
on reste toujours dans le champ de l'abus, même lorsque l'enfant en veut aussi :
le solliciteur garde toute la responsabilité de sa demande, qu'il sait hors normes. Mais il s'agit de mineurs entre eux, on ne devrait pas réduire ipso facto ce qui se passe sous l'étiquette « abus ». Ce qui ne veut pas dire non plus que ces situations « mixtes » ne peuvent pas laisser de trace à long terme chez celles et ceux qui y sont impliqués.
IV. Enfin, chaque évolution humaine conserve une part d'imprévisible : ce n'est pas à des réactions chimiques entre ingrédients bien connus que nous avons à faire ! On peut donc décrire des facteurs de gravité ou de protection qui ont bien des chances d'alourdir ou d'alléger l'impact d'un même fait sexuel, mais il faut se souvenir avec prudence que l'on ne parle que de probabilités. Nos prédictions ne sont jamais à coup sûr, et c'est très bien ainsi : peut-être certaines variables avaient-elles échappé à nos analyses ; peut-être des hasards, des événements de vie heureux ou malheureux ont-ils influencé le cours des remaniements psychologiques ultérieurs. Et puis, il reste cette ultime réalité bien opérante qu'est notre liberté intérieure.
Même si son essence reste quelque peu mystérieuse, elle est bien là, vivante et mouvante au fil du temps. Elle faisait écrire au poète Louis Aragon « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur ... ». En référence à cette ultime implication de sa liberté de penser, de choisir et de faire des projets, l'ex-victime a un pouvoir certain et limité d'autocréation. Jusqu'à un certain point, elle peut modifier la représentation mentale qu'elle se fait de ce qui lui est arrivé. Elle peut relativiser, dramatiser, travailler sous son angoisse ou sa colère ... Ni complètement déterminés par ce qui nous est arrivé, ni complètement déterminés par nos vibrations génétiques, notre histoire de vie ou notre environnement social, ni complètement libres de créer une pensée totalement autonome, ainsi sommes-nous ...
II. Facteurs de gravité ou de protection
I.
Considérations générales
A. Beaucoup d'abus s'inscrivent logiquement dans des prédispositions somatiques et dans un « système relationnel » dont des composantes intrinsèques étaient occupées depuis bien avant
à déstructurer la personnalité de l'enfant ; l'abus et son contexte immédiat, ici, ne constituent que des coups de boutoir supplémentaires qui vont dans le même sens.
Par exemple,
un enfant vit dans un contexte d'indifférence et d'absence de protection. Un de ses parents est particulièrement violent, à de nombreuses occasions ; un beau jour, pour exercer sa puissance, il franchit la frontière de l'abus, y prend goût et persévère.
Mais le contexte avait déjà forgé chez l'enfant une personnalité triste et soumise. Il va donc se laisser faire passivement, puis, même si l'abus s'arrête, en vivre les conséquences de façon particulièrement vulnérable. Sa désorganisation est donc l'effet de l'ensemble, en ce inclus de possibles désorganisations cérébrales ultérieures,
et pas seulement de l'acte-abus.
B. D'autres abus sont de malheureux hasards totalement inattendus : enfants pris par surprise par des pédophiles ; enfants cibles d'un dérapage imprévisible d'un adulte proche Mais même alors, le système relationnel existant, le soma et la constitution du moment de la personnalité de l'enfant ont toute leur importance :
certains sont forts, et vivent dans des familles qui prédisposent à l'optimisme et à la communication. Pour d'autres, c'est l'inverse ...
C. C'est donc fondamentalement à ces ensembles dynamiques, qui incluent l'abus mais ne s'y réduisent pas, qu'il faut attribuer la responsabilité de tout ce qui s'en suivra. Pour nous simplifier la vie, je vais néanmoins évoquer un à un les facteurs de plus grande gravité, c'est à dire le pôle le plus défavorable d'un gradient. Je laisse au lecteur le soin de la transposition en miroir de ce que pourraient être les facteurs de protection ( Hayez, 2004 )
II. Enumération de facteurs de gravité
A. La nature des actes commis et leurs qualifications les plus immédiates
- Effractions dans le corps, surtout si elles sont brutales, non prévues ou non connues par l'enfant ( l'inverse, ici, n'est pas vrai : de simples attouchements, de simples conversations obscènes peuvent déjà, s'avérer bien délétères )
- Douleur corporelle ressentie ; complications somatiques, souvent gérées en secret ( infections, blessures, avortements, ...)
- Contexte « partouzeur » ( auteurs multiples, etc. ...)
- Exigences perverses tout à fait inconnues de l'enfant ( le lier ; uriner sur lui, etc. ...)
- Répétition des actes ; irrégularité et imprévisibilité du moment de leur retour
- Récidives inattendues ( par exemple, lors d'un placement en institution )
- Absence de contrôle de la victime sur les actes ( ici, ce n'est pas l'enfant qui décide d'aller « dire bonjour » le mercredi après-midi à « son copain »)B. Personnalité et statut de l'auteur - Le plus déstructurant, c'est qu'il soit un parent ( ou un grand parent ) de sang, donc censé être un protecteur naturel. Viennent ensuite d'autres membres « de sang » de la famille ( une grande sœur presque adulte ; un oncle, ...)
Viennent ensuite tous les « grands », sur qui l'enfant se sent d'autant moins de capacité de résistance qu'il est plus jeune ou que leur statut leur donne une autorité morale sur lui ( un beau-père ; un professionnel de l'enfance ; tous les adultes ... mais déjà, pour l'enfant de cinq ans, l'adolescent de quatorze, quinze ans )
- Un comportement brutal, effrayant, sadique ; les dimensions angoissantes ou culpabilisantes introduites pour que l'enfant garde le secret sur les faits ( Beitchman et coll., 1992 )
-
L'absence d'amour, de tendresse ( même immature ) dans les actes commis et dans la « relation » menée avec l'enfant.
- Des mensonges actifs à propos de ce qui se passe, qui dissimulent un égoïsme jouisseur plus qu'une vraie disposition à l'affection (« C'est normal que les pères initient leur fille ; c'est une superbe façon de nous aimer ») : l'enfant est vaguement dupe quelque temps et, en vieillissant, il constate qu'on l'a trompé et qu'il n'était qu'un objet, et il ne pardonne pas.
- Une volonté de posséder et de téléguider toute la vie de l'enfant (« Pense comme moi ; demain, mets tels vêtements et sous-vêtements ( sous-entendu : parce que tu es ma chose ...»))
- Dans un ordre d'idée différent, de grands hédonistes, souvent pervers, ont un réel art de l'initiation érotique « en douce » et peuvent « allumer » définitivement un enfant ou un adolescent, qu'ils prennent vraiment comme partenaires de leurs investissements et découvertes érotiques ou/et comme un terreau vierge à initier au plaisir.
C. Inconsistance ou défection de l'entourage non abuseur
Ce facteur est bien connu et je n'en dirai pas grand chose.
Le plus grave, c'est évidemment quand l'enfant constate que les paroles qu'il lance pour parler de l'abus ne sont pas reçues. C'est quand il se sent seul, abandonné de tous ( ses frères savent, mais ne font rien pour lui )
Ou encore, quand il a l'impression, vraie ou fausse, d'être sacrifié en tout ou en partie dans l'aventure, pour le confort psychologique de son entourage
D. Facteurs propres à l'enfant
- Le patrimoine génétique est à même de créer de la vulnérabilité psychique et de fortes blessures morales au moment même de l'abus et par après. Inversement, il peut induire aussi une prédisposition à la résilience ... ou à l'hédonisme.
- Au delà des apparences, la préadolescence et le début de l'adolescence constituent des moments très défavorables pour vivre l'abus ; celui-ci peut semer un certain nombre d'inquiétudes ou de confusions autour de la valeur de soi et de l'identité sexuée.
(« Pourquoi est-ce à moi qu'il s'en est pris ? Qu'a-t-il repéré de différent chez moi ? J'ai eu du plaisir : suis-je normal ? J'ai ( un peu ... beaucoup ) envie de le revoir, suis-je normal ?) Inversement en cas d'abus soft, le très jeune âge peut être un facteur de protection, sauf si le petit enfant remarque que la révélation et ce qui s'en suit bouleversent son entourage.
- Certains facteurs affectifs individuels défavorables sont assez évidents :
une propension à l'anxiété, à la mauvaise image de soi, à la culpabilité ( Coffey P, 1996 )
Une passivité habituelle, qui contribuera à ce que l'enfant se soumette longuement. Une carence affective, qui lui fera mendier de l'amour en offrant son corps. Une tendance à l'hédonisme, qui le poussera vers des expériences sexuelles en faisant feu de tout bois ...
Ces prédispositions affectives sont liées à l'expression phénotypique du génome, comme signalé plus haut, ou constituent des pures réalités « spirituelles ». Cet article ne tranche évidemment pas la question très complexe des rapports entre le corps et l'esprit. -
Pour certains enfants, c'est encore plus compliqué. En décrivant le monde de l'entre-deux, j'ai évoqué l'ambivalence : les enfants ambivalents ne sont pas clairs :
ils subissent et en redemandent à la fois, sans jamais être vraiment ni contents ni mécontents d'eux-mêmes. Cette incertitude douloureuse sur la valeur de ce qu'ils ont fait et donc de ce qu'ils sont, peut les poursuivre très longuement ...E. Les facteurs chronologiquement secondaires : traumatisation ou renforcement positifs
1. La réalité et l'impact de la traumatisation secondaire sont bien connus des professionnels : l'ensemble des facteurs qu'elle est susceptible d'inclure peut être plus désorganisateurs que l'abus lui-même. En résumé, ici, l'enfant se sent ignoré, non protégé et parfois même condamné par les attitudes de la communauté à propos des abus qu'il a subi. Découverte douloureuse, inattendue, injuste qui le persuadent plus ou moins définitivement qu'il ne vaut rien ou qu'il n'y a rien à attendre des autres. C'est d'autant plus cruel que, assez souvent, c'est lui qui avait fini par demander de l'aide, sur base des promesses sociales entendues. Je n'en dirai pas plus sur cette traumatisation, dont les composantes possibles sont très variées.
- Institutions d'aide psychosociale bureaucratiques, clivées, où il faut tout le temps recommencer à tout expliquer et où c'est toujours « le suivant » qui va bien t'aider.
- Justice pénale très lente, qui n'assure pas de protection immédiate et qui absout assez souvent l'abuseur.
- Entourage familial qui prend le parti de l'abuseur.
- Fiancé qui condamne et/ou s'enfuit lorsque telle jeune fille se hasarde enfin à lui raconter ce qu'elle a subi.
- Etc. ...
2. Et les renforcements positifs ? Je veux parler ici des renforcements positifs d'une sexualité sans retenue qui s'est installée chez des enfants bien « allumés » par les initiatives perverses de leur abuseur. Ces renforcements existent occasionnellement : ici, ces enfants ne trouvent pas dans la suite de leur vie de bons modèles ou de bons contacts sociaux qui restituent à leur sexualité des dimensions certes toujours agréables, mais davantage sociables, modérées et liés à la vie affective.
III. Réorganisations et atteintes ultérieures de la personnalité
- J'en distingue cinq catégories, qu'il faut considérer comme les pointes d'une pyramide tétraédrique. Ce ne sont que des pôles, décrits comme tels pour simplifier la réflexion. En réalités, les personnalités se situent bien plus souvent sur les côtés, la surface ou le volume intérieur de la pyramide.
- Sur l'échelle du temps, un certain nombre de ces remaniements sont transitoires ; d'autres sont plus constants, stables ou avec une certaine aggravation ou un certain allègement lent et progressif, spontané ou lié à de nouvelles circonstances de la vie. Quelques-uns n'apparaissent même que de façon différée.
- Enfin, l'intensité de l'atteinte est variable, un peu comme les variations sismiques sur l'échelle de Richter : à l'extrémité la plus favorable, moments de légers malaises ( ou d'excitation sexuelle anormale ) occasionnels. A l'autre, invalidation de la vie ( ou hypersexualité compulsive ),
voire suicide.I. Au sommet de la pyramide : maintien de l'intégrité ou de la cicatrisation
Bien que nous ne disposions pas d'études épidémiologiques fiables, mon expérience clinique, mes lectures, ma fréquentation de forums Internet ciblés sur l'abus, tout cela me fait penser que ce premier pôle constitue l'issue la plus fréquente de l'abus. C'est surtout le cas lorsque les critères décrits au paragraphe précédent ne sont pas très lourds, ou lorsque le système relationnel où vit l'ex-victime est de qualité. C'est encore le cas s'il n'y a pas eu traumatisation secondaire.
Il faut se souvenir enfin qu'un abus isolé , même entouré de nombre de critères de gravité, n'imprègne souvent le psychisme que transitoirement.
A. Surtout dans ces contextes, nombre d'enfants et d'adolescents ne subissent aucune altération significative de leur personnalité. Ils peuvent intégrer quasi- immédiatement ce qui leur est arrivé comme un accident, un incident, un événement regrettable, bizarre ou amusant, mais qui n'altérera pas ce qu'ils vont devenir.
B. Après un abus soft et érogène, certains voient leur appétit sexuel transitoirement exacerbé quelques semaines, deux, trois mois ... Les actes sexuels sans retenue qu'ils posent alors sont soit secrets, soit « à ciel ouvert », d'autant plus qu'ils sont jeunes. Il leur arrive même d'avoir vis-à-vis de leur partenaire une insistance déplacée, jusqu'à être eux-mêmes abusifs. Mais ici, leur environnement naturel est de qualité ; en outre un heureux hasard fait en sorte qu'ils ne reçoivent pas de renforcements naturels ... et tout rentre assez vite « dans l'ordre ».
C. D'autres sont déjà davantage psycho-traumatisés : leur personnalité se situe plus bas dans la pyramide, en direction des pôles deux, trois et quatre que je décrirai tout de suite.
Il existe une cicatrisation plus imparfaite. Ca peut se réveiller de faire mal de temps en temps, apparemment sans raison ou lors de moments évocateurs.
Et au delà cette seule douleur morale occasionnelle, c'est chez ces personnes également que l'on rencontre inconstamment une des deux expressions plus préoccupantes de vulnérabilité que voici :
1. La probabilité que ces personnes recourent elles-mêmes à l'abus est plus élevée que chez les adultes tout venants. Sans qu'il s'agisse vraiment des décharges brutales post-traumatiques que je décrirai au pôle 2, on assiste chez quelques-uns au type de processus que voici : tel adulte ex-victime reste porteur de quelques souvenirs pénibles, chargés d'angoisse, voire de mauvaise image de soi. Lors d'une mauvaise passe de sa vie ( par exemple, une mésentente conjugale ), le voici confronté quotidiennement à sa fille de douze ans, jolie, en début d'adolescence. Les « traces » pénibles en lui se réveillent confusément. Sa fille le met sous tension pénible et l'excite érotiquement. Il peut passer à l'acte, tant pour soulager sa tension que pour chercher de l'affection, et satisfaire sa sexualité. Souvent c'est temporaire et il regrette bien vite. Mais pas toujours : si l'expérience est très plaisante et que la fille se montre soumise ou ayant l'air d'apprécier, il peut s'y fixer et en devenir dépendant.
2. Eventualité plus fréquente : des phénomènes de projection ou de semi projection. Telle femme a été abusée significativement par un oncle, entre ses neuf et treize ans. Elle en a cicatrisé imparfaitement la trace. Son mariage est un échec, entre autres parce qu'elle n'a pas beaucoup d'envie ni de plaisir sexuel, ce qui frustre passablement son mari. De leur union naît quand même une petite fille. Puis le couple va de plus en plus mal et se sépare. Les visites de l'enfant chez le père se mettent en place péniblement. Bien vite, sur base d'une rougeur vulvaire à un retour de visite, la mère est folle d'inquiétude quant à de possibles attouchements de la part du père. Toute émotionnée, elle interroge maladroitement la fillette ... et vous devinez la suite.
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]II. Second pôle : Les angoisses post-traumatiques et leur destin
[/b]Ici, l'abus et la relation avec l'abuseur correspondent aux critères du traumatisme psychique au sens technico-nosographique du terme : événement brutal, effrayant, déclenchant une sensation immédiate de très grande menace pour la vie et un vécu d'impuissance ( Beitchman and coll, 1992 ) Cette source externe d'effroi devient alors tout de suite un traumatisme psychique qui fait effraction dans le monde intérieur de l'enfant. Pour que ce traumatisme psychique continue à « clignoter », à produire ses effets de façon durable, il faut souvent que les événements externes se répètent suffisamment avec les mêmes caractéristiques effrayantes. Un viol isolé dans un endroit désert, par exemple, produit le plus souvent un fort traumatisme psychique, mais transitoire : après quelques mois, un an, ce sera la cicatrisation. On constate aussi fréquemment que les traumatismes externes à l'œuvre consistent non seulement en abus, mais en une ambiance de vie très violente où mille images s'abattent sur ou autour de l'enfant : alors, le vécu anxieux qui s'en suit peut être intense et interminable.
B. Aussi longtemps que le traumatisme psychique est opérant, le maître symptôme, c'est l'angoisse. Mais pis encore, lorsque l'abus continue et que l'enfant est terrorisé pour en garder le secret, il ne peut même pas montrer clairement qu'il est anxieux. Son angoisse s'exprime alors par des signes très indirects ( troubles somatiques, troubles sphinctériens, troubles du sommeil, grande distractibilité à l'école ) Après cessation des faits, son angoisse peut exploser et s'exprimer plus librement et les signes ne manquent pas : troubles de l'endormissement, cauchemars, dépendance à un parent jusqu'au collage, refus de se montrer nu, crises de panique inexpliquées, etc. ...
Au fil du temps, les angoisses les plus crues et les plus irrationnelles se résorbent mais il s'installe de tenaces conduites d'évitement ( Brière J.N., Elliot D.M., 1994 ) Evitement par anticipation de toute exposition à ce type de danger : par exemple, la personne a peur des garçons, puis des hommes et ne veut plus les fréquenter ; elle est solitaire ou célibataire ; elle a peur des relations sexuelles et s'arrange pour ne pas en avoir, elle a peur de l'intimité avec son conjoint ( Godbout N., 2007 ) etc. ...
- Si l'imprégnation par de la violence traumatique reste très forte, si la personne n'a jamais pu se soulager en parlant à un tiers des souffrances et des agressions subies, il existe un autre type de risque, commun à tous les cas de « syndrome de stress post-traumatique » ( Kiser, 1991 ; Zlotnick C., 1996 ) C'est celui du renversement soudain et brutal de rôle et de la décharge impulsive du comportement qui a été celui de l'abuseur : la personne exorcise sa terreur intérieure en faisant subir à un autre, souvent faible et innocent, ce qu'on lui a fait à elle-même. Ce risque est loin d'être inéluctable : tous ne s'extériorisent pas de la sorte, loin de là. Ceux qui le font, ne le font que très occasionnellement, avec une répétitivité faible, et le plus souvent à l'époque où c'est encore très chaud et douloureux en eux, c'est à dire pendant l'adolescence et au début de l'âge adulte.
- Il existe une issue encore plus rare mais encore plus catastrophique, et qui est propre à des personnes qui glissent précocement du deuxième pôle ici décrit jusqu'au quatrième, celui de l'agressivité et de la haine élevée en système. On voit cela par exemple, lorsque l'on étudie la biographie de certains serial killers (6) Au début de leur « carrière », il s'agit d'enfants qui vivent dans des ambiances très violentes et ont été eux-mêmes très violentés. Ici, tôt dans l'enfance, vers neuf, dix ans, ils éteignent ou réfutent de façon très bétonnée les traces anxieuses et, un peu par identification, un peu par rage de protestation, ils « concoctent » une agressivité haineuse, envahissante et souvent très bien contrôlée. Ils sont souvent très solitaires. Leurs fantasmes peuvent être effrayants ; leur appétence pour les images de meurtre et de torture aussi ; on les voit très cruels avec des animaux et petit à petit, c'est aux humains qu'ils s'en prennent. Ils ciblent entre autres ceux qui, par un signe ou l'autre de leur personnalité, peuvent évoquer les carences ou les violences qu'ils ont subies. Dans le livre que j'ai consacré à la destructivité chez l'enfant et chez l'adolescent ( Dunod, 2e édition, 2007 ), je situerais leur personnalité en comorbidité « Psychopathie – perversité »
III.
Troisième pôle : tristesse, honte et culpabilité
Echelle du temps : il peut s'agir d'une pathologie transitoire, qui s'étend dans les mois qui suivent la cessation de l'abus, ou d'une pathologie plus chronique. Elle peut même commencer à s'installer de façon différée, lorsque des événements typiques de la traumatisation secondaire plongent l'ex-victime qui ne s'y attendait pas dans l'incrédulité, l'indignation et le désespoir.
Se retrouvent ici en proportions variables des vécus plus ou moins irréductibles de :
- Tristesse : avoir un destin malheureux, différent des autres ; être privé d'un bon parent ( l'abuseur ) ; mais parfois de deux ( l'autre ne protège pas la victime, ne la croit pas, le condamne activement )
- Désespoir ; perte de confiance dans les autres : aucune aide à attendre de personne.
- Honte : impression d'une tache sur la famille ou sur soi, que les autres ont repérée et montrent du doigt.
- Culpabilité : ses sources peuvent être multiples, complètement ou partiellement irrationnelles : s'être laissé faire et avoir été inefficace ; avoir amené des ennuis dans la famille ou une tache honteuse ; avoir été ambivalent et se reprocher la part de plaisir ou de satisfaction affective que l'on a connu, etc.
- Et donc, il s'en suit une chute plus ou moins prononcée de l'estime de soi, jusqu'au vécu franchement dépressif (« Je ne vaux rien et personne ne m'aimera jamais ») ( Bushnell et coll., 1992 ; Mullen et coll., 1996 ) Ici encore, les interactions avec la génétique et avec des modifications cérébrales déjà évoquées, peuvent être très opérantes.
Tous ces vécus pénibles entraînent des comportements quotidiens qui extériorisent la perte de la joie de vivre et de la confiance en soi. Ces personnes communiquent peu, se replient sur elle-même, ne savent pas dire du bien d'elles-mêmes, réussissent peu de projets. .Elles sont également candidates à des troubles psychosomatiques, par exemple des douleurs pelviennes chez les femmes ( Rapkin et coll., 1990 )
Elles aussi peuvent rester célibataires ou rater leurs liens sentimentaux et leur vie sexuelle, plus par manque de confiance en soi et par honte que par angoisse. D'autres iront se mettre sous la coupe d'un partenaire irrespectueux, qui leur fait subir diverses violences, en ce inclus dans le domaine sexuel ( re-victimisation tardive ) Quelques femmes se réorientent vers l'homosexualité, par dégoût et haine des hommes, et pour trouver quand même chez l'autre des signes d'affection plus fiables ( Polusny et Follette, 1995 ; Roberts et Sorensen, 1999 )
Il arrive que ces vécus pénibles deviennent tout à fait insupportables pour la personne : c'est à l'origine de quelques anorexies mentales de forme quasi-mélancolique, à la fin de l'adolescence, de quelques tentatives de suicide ou suicides réussis, ou encore d'évasion dans la consommation addictive de drogues fortes.
Pas très fréquemment, l'on peut voir s'installer aussi des conduites négativistes extrêmes surtout à l'adolescence et au début de l'âge adulte. Difficile alors parfois de déceler le pôle de souffrance morale lié aux violences subies, bien caché derrière des troubles du comportement où l'adolescent n'arrête pas de se détruire en détruisant les autres : par exemple, filles en rupture de liens sociaux, avec des conduites sexuelles à risque, jusqu'à la prostitution ( Widom C.P., Ames M.A., 1994 ; Stewart L. and coll., 1996 )
I
V. Quatrième pôle : colère et victimisationIl est possible que le vécu de colère soit immédiat et perdurant : quelques victimes, surtout avant l'adolescence, osent réagir avec une indignation immédiate ; elles obtiennent alors souvent cessation des faits et réparation, et leur colère s'éteint progressivement.
Plus souvent, c'est un vécu différé : l'ex-victime découvre qu'elle a été baratinée, trompée ou que l'abuseur reste impuni, parfois triomphant, parfois s'en prenant à d'autres, et sa rage va croissant. Ou alors, ses premiers comportements de victimisation sont renforcés positivement et l'invitent à en remettre.
A. Formalisations les plus usuelles : colère dirigée contre la personne qui a abusé mais se limitant à être exprimée à des tiers ; colère s'adressant directement à l'abuseur, et s'exprimant par des actes divers ( plainte judiciaire ) ; colère portant également contre tous ceux qui ont été passifs et n'ont pas bien aidé ; non désir perdurant de pardonner.
. La victimisation existe souvent en couplage avec la colère manifeste, et plus rarement indépendamment. Elle ne consiste pas qu'en un comportement de dépendance ostensible. Elle a aussi la dimension d'un agression indirecte, parfois incessante, contre la famille et la société qui n'ont pas su aider efficacement en temps et heure : l'ex-victime leur signale ostensiblement
tout son vécu douloureux et l'invalidation de sa vie sans faire d'efforts suffisants pour se prendre directement en charge et en demandant mille réparations à la société. C'est aussi bien sûr une agression en retour de l'abuseur, pointé du doigt comme le monstre qui a fait tant de choses horribles et poussé à payer dans tous les sens du terme. Assez souvent, la victimisation se joue sur la place publique ( médias, livres ...) et tous les renforçants que la personne reçoit l'enferment dans ce rôle qu'elle a commencé à jouer.
V. Le cinquième pôle : modifications du projet affectif et sexuel dans le sens du désir de l'abuseur
Tous les abus ne sont pas effrayants, rappelons-nous en. Certains sont vécus par l'enfant comme une initiation et un apprentissage d'un savoir érotique qui lui plaît bien. Les mêmes, ou d'autres encore, peuvent être vécus comme un moment de rencontre, si pas de privilège affectif : parfois, l'enfant se trompe à ce propos, car son abuseur est bien occupé à l'embrouiller. Mais parfois pas : même s'il commet un abus, l'adulte donne aussi son affectivité, tout immature qu'elle soit.
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]Que peut-il s'en suivre ?[/b]
A. Un attachement sincère à la personne qui abuse. Attachement le plus souvent transitoire car l'enfant vieillit et l'adulte va chercher une autre fontaine de Jouvence. Ou alors, la société met le holà, de façon brutale : moment douloureux pour l'enfant, qui s'en remet le plus souvent en cicatrisant si pas en oubliant (7)
De très loin en très loin, une exception pour des cas dont le début est à la limite de la pédophilie et d'autre chose, plus acceptable : adolescents jeunes ( quatorze, quinze ans ) qui restent longuement attachés à l'adulte, leur amant, comme n'importe quel couple.
B. Plus fréquent : enfant allumé sexuellement précocement et qui continue à vivre une vie sexuelle sans beaucoup de retenue ( Yale, 1982 ) Sélection de la sexualité « partie de plaisir » (
plutôt que de la sexualité liée à l'affectivité. Pendant l'adolescence, il continue à « chercher » d'autres adultes, éventuellement en se faisant « un peu de blé ». A noter qu'il ne se transforme pas spécifiquement en abuseur, mais plutôt en hédoniste partouzeur ( Browning et Lauman, 1997 )
Plus rare : enfant qui adopte les perversions de celui qui l'a abusé, par goût acquis. Dans la suite de sa vie, il peut donc reproduire à son tour des comportements pédophiliques. Il n'est néanmoins pas dénué de responsabilité à leur propos. Il ne s'agit pas ici de décharges irrépressibles.
IV. ConclusionsJ'espère avoir pu montrer combien peut être diversifié ce qui se vit dans le décours d'un ou d'une série d'abus sexuels matériellement arrêtés.
Mouvance dans la durée. Diversité d'intensité, de la cicatrice un peu douloureuse par moments à l'invalidation de la vie quotidienne, si pas au suicide. Diversification de forme aussi, la moindre d'entre elles n'étant pas le retour à la normale ou quasi.
L'analyse des raisons d'être de ces conséquences doit être multimodale : l'abus est un phénomène qui s'intègre parfois très logiquement – très naturellement, me hasarderais-je à dire -, dans un ensemble de causalités qui va de la génétique à l'ambiance sexuelle générale, en passant par l'histoire de vie de l'enfant, la dynamique de ses relations proches et la construction progressive de sa personnalité. Et l'on peut raisonner de la même manière pour les conséquences. Il ne faudrait donc pas parler de conséquences de l'abus sexuel, mais de celle de tout un système de « forces opérantes » où l'abus a occupé une place. Et il n'est pas si rare que l'on fasse l'erreur reprise dans l'adage « Post hoc, ergo propter hoc ».
Certes, il existe des victimes meurtries à vie, les survivors de la littérature nord- américaine.
Mais il existe bien davantage de gens qui essaient de se remettre debout, de « faire avec » un souvenir, des traces inscrites dans la mémoire, même lorsque ce qui s'était passé au moment des faits étaient cauchemardesque. Et il en existe aussi qui ont vraiment tourné la page de cette partie de leur itinéraire de vie.RESUMESFort d'une expérience clinique de trente-cinq années dans le champ de la lutte contre l'abus sexuel, l'auteur apporte son témoignage quant au devenir à long terme des victimes d'abus sexuels. Des facteurs de gravité ou de protection existants, mais ne donnant jamais que des indications statistiques. Entre autres, il ne faut pas sous-estimer le problème de la traumatisation secondaire.
L'auteur distingue cinq pôles possibles de devenir : la cicatrisation ( probablement la plus fréquente ) ; le maintien d'angoisses post-traumatiques élevées ; la dépression et la culpabilité ; la colère et la victimisation et la modification du projet affectivo- social dans la direction voulue par l'auteur.
Traumatismes sexuels, incestes, pédophilie, et sexualité à l’âge adulte, quelles conséquences ?
Marie Hélène Colson
On a souvent tendance, en matière de viols, d’actes de pédophile ou d’inceste, à évoquer l’acte commis, principalement sous l’angle de ses implications collectives : Conséquences juridiques et pénales dans une société où les crimes sur enfants sont six fois plus nombreux depuis dix ans(1), évolution des idées au sein d’une société qui reconnaît désormais la violence sexuelle après l’avoir longtemps tue, attentes et craintes renouvelées de la part d’une opinion de plus en plus sensibilisée. Le violeur ou l’abuseur est souvent étudié sous l’angle de sa motivation et des mesures pénales ou médicales à adopter. Mais l’importance des implications sociales et collectives des crimes sexuels perpétrés sur l’enfant ne doit pas nous faire oublier les conséquences individuelles et bien concrètes d’un tel acte. L’enfant abusé sera un adulte à tout jamais marqué dans sa chair et dans son fonctionnement psychique. Sa sexualité d’adulte en portera les conséquences pour toujours.
L’idée de traumatisme vécu qui ébranle la vie et engage durablement le pronostic affectif de l’enfant en devenir est une idée neuve(2), de même que la prise en compte de la victime et sa prise en charge thérapeutique des conséquences sexuelles de l’abus, du viol, de l’inceste.
Etre victime d’un abus sexuel
Une fréquence importanteIl ne faut pas imaginer un seul instant que l’abus sexuel soit un fait isolé et rare. L’une des grandes nouveautés en la matière est aussi la publication récente de statistiques portant sur des cohortes suffisantes pour être explicites. Ces chiffres récents nous donnent la mesure de l’ampleur du phénomène et de ses implications. 40% de femmes américaines sur 888 interrogées(3). 26,8% dans une étude portant sur 4729 femmes d’Europe du Nord consultant en gynécologie, dont 6,4 déclarant avoir été violées avant 18 ans(4). En France, les statistiques sont rares et isolées. Elles portent surtout sur de petits groupes de victimes, et étudient principalement les conséquences immédiates, lésionnelles, du traumatisme, et leurs implications juridiques. Il est cependant possible de se tourner vers des statistiques non médicales qui permettent de comprendre indirectement l’importance quantitative des abus sexuels chez les mineurs. Ils concernent 20% des procès d’assise en France. Et la SNATEM, Association d’écoutants d’intérêt public, en recense dans ses motifs d’appel, 40 000 à 60 000 selon les années. Toujours selon la SNATEM, ces abus sexuels concerneraient 71% de mineurs de sexe féminin, dont 80% de moins de 15 ans.(5)
L’abus sexuel, qui ? quand ? Comment ?Il ne faut pas non plus imaginer que l’abus sexuel, le viol, l’inceste, ne concerne que des minorités issues de milieux particulièrement défavorisés, évoluant dans le milieu de la prostitution, de l’alcool ou de la drogue. Il n’existe pas de milieu socio-économique prédisposant à ce type d’événement. Le statistiques de la SNATEM et les minutes des procès d’assise, montrent bien que n’importe quel enfant, de n’importe quel milieu, peut en être victime, n’importe où, n’importe quand. 80% des abus ont lieu à domicile, 7,5% sont des incestes et 3,3% sont perpétrés dans le milieu scolaire ou parascolaire.(6)
Quelle vie sexuelle d’adulte pour l’ancien enfant abusé ?A quelle vie sexuelle d’adulte peut on s’attendre après avoir été un enfant abusé, victime de viol, d’inceste, de pédophilie ?Une séméiologie multiforme marquant un impossible dialogue avec son corps
Le traumatisme en s’ancrant dans le corps va donner naissance au symptôme. Un symptôme qui sera la seule expression de la sexualité une fois atteint l’âge adulte. La petite fille abusée va devenir une femme frigide, anaphrodisique, vaginique, dyspareunique, vulvodynique… . Un symptôme qui sera là pour bien marquer l’impossible accès à son propre corps de femme, au corps de l’autre. Un symptôme qui peut prendre différentes formes, mais qui ne sera jamais systématique ni reproductible en fonction de la nature de l’abus, de sa gravité apparente, ou de l’ancienneté des faits. Il sera certainement davantage fonction de son retentissement émotionnel et du fonctionnement psychologique de chacun. Un symptôme déroutant donc, si l’on cherche à l’analyser autrement qu’au travers de l’individu lui-même.
C’est ainsi que certaines femmes victimes de viols arriveront quelquefois à un fonctionnement sexuel satisfaisant, alors que d’autres, victimes d’attouchements sans pénétration, apparemment minimes, pourront être porteuses de blocages sexuels graves. Retenons simplement qu’en la matière, il n’existe pas de traumatisme minime et que la gravité des séquelles est fonction de l’impact émotionnel ressenti et de l’âge de la victime au moment de l’agression.
Quelquefois aussi, après une période plus ou moins longue où tout semblait être acquis, la jeune femme, installée pourtant dans une sexualité d’adulte épanouie, réactive par hasard le souvenir de l’abus, et la difficulté sexuelle s’installe, interdisant désormais désir et plaisir, l’un ou l’autre.
Quelquefois encore, et cela n’a rien d’exceptionnel, la jeune fille n’a pas été elle-même victime de l’abus sexuel, mais sa mère, sa grand mère, une femme proche de l’enfant a perpétué pour elle le souvenir de son propre inceste ou viol, générant chez la petite fille devenue femme, la même impossibilité d’accès à son corps érotique. L’observation clinique semble montrer dans ce type de pathologie transgénérationnelle, davantage de cas de vaginismes que de frigidités.
Un face à face interdit avec le partenaire : céder ou refuserLe symptôme sexuel, qui signe l’impossibilité d’épanouissement pour une petite fille devenue adulte dans un corps de femme qu’elle n’arrive pas à reconnaître comme sexuel et érotique, signe aussi l’impossibilité de dialogue physique avec un homme. La sexualité adulte de la femme victime d’agression sexuelle, c’est la sexualité de l’autre. Le désir et le plaisir ne sont que désir et plaisir de l’autre.
Un désir qui ne signifie rien d’autre pour elle qu’une prise de risque.
Risquer de refuser
et reproduire inlassablement un scénario qui conduit au rejet de l’autre, au risque de le décevoir, d’être abandonnée, d’être trompée, de s’exposer à son mécontentement, à ses plaintes, à sa colère, ou bien tout simplement de le rendre malheureux une fois de plus. Le refus expose à l’abandon, à la violence de l’autre, à la culpabilité de soi.
Risquer de céder
L’autre risque, c’est de céder, une fois de plus, de se laisser faire sans désir, juste pour le plaisir de l’autre, ou pour avoir la paix, par devoir conjugal, ou parce que, de temps en temps, « il faut bien le faire »…
Risquer d’être indéfiniment victime… face à l’autre devenu agresseur malgré lui
Dans les deux cas, la femme reste victime de son impossibilité à désirer, à aimer. Dans les deux cas, l’autre, même s’il n’a pas le profil d’un agresseur, le devient bien vite, par son impossibilité à comprendre, par son insistance, par ses maladresses, par sa frustration. Un autre, d’ailleurs souvent choisi en complémentarité, et l’on est frappé en consultation, par la qualité du partenaire, trop souvent non seulement incapable de se mettre à l’écoute, mais aussi incapable de faire autrement que de devenir à son tour, par ses insistances, harcelant et abuseur sexuel lui-même. Un cercle vicieux parfait, générateur d’incompréhension, voire de violence, entre une femme blessée dans son corps et un homme en carence affective ou narcissique incapable de l’aider, et qui très vite, va s’enfermer dans le repli, l’agressivité, le silence.
Un cercle vicieux qui, une fois mis en place, reproduit inlassablement le scénario initial de l’agression et de la victimisation.Un désir inaccessiblePour désirer, il faut pouvoir s’aimer, avoir envie de se montrerMais comment désirer l’autre quand on se sent enfermé dans un corps qui n’inspire plus que dégoût, honte, un corps qui fait horreur depuis qu’il a été sali. Le corps devient le lieu de l’effraction, de la transgression. Un corps frappé d’interdit , devenu une prison, et qu’il faut soustraire au regard de l’autre, au désir de l’autre. Un corps devenu signal de danger dans la relation à l’autre. C’est ainsi que l’on va s’habiller de manière informe pour se cacher, et développer des conduites alimentaires, anorexies, boulimies, des comportements agressifs qui permettront de se tenir à l’abri du désir de l’autre.
Un désir remplacé par la honte, la culpabilité, la peur
Toutes émotions vécues lors du traumatisme et qui continuent à se perpétrer indéfiniment. Peur, honte, culpabilité, de se sentir différente, de porter cette tâche, et qui sait, peut être, d’avoir suscité le désir de l’autre et son comportement, d’avoir déclenché la violence de l’autre.Un désir remplacé par la dépression
La dépression est l’issue la plus fréquente, elle permet d’abandonner la partie en refusant de la jouer vraiment. Elle correspond à un comportement de fuite et d’évitement, d’engourdissement sensoriel et général protecteur. Dans une étude récente, sur 732 femmes de Boston consultant pour dépression, Wise retrouve 50% d’abus sexuels dans l’enfance.(7)
Un désir rendu impossible par la faillite identitaire« Plus l’inceste a lieu tôt dans la vie, plus il y a de risques que les blessures soient irréversibles au niveau de l’identité ».(
L’enfant victime d’abus sexuel est arrêté dans sa construction identitaire à l’âge du traumatisme. La plupart des observations cliniques soulignent bien cet aspect. Eva Thomas est la première en France à avoir brisé le silence face au grand public. Elle publie en 1986 un livre où elle raconte ce qu’elle a vécu et la longue thérapie entreprise pour la guérison « Mon père avait brisé l’identité que je me construisais, le miroir où je me reconnaissais, .., devant ce désastre, je devins anorexique, m’accrochant au déni de ce corps de femme violé »(9)
Un plaisir impossibleLe plaisir est rendu impossible par l’absence d’abandon, l’absence de confiance en ce corps dont on se défie, que l’on refuse , que l’on cache à soi, à l’autre.
Les somatisations
Elles sont là pour marquer dans le corps l’impossibilité du plaisir. Des somatisations qui ont souvent commencé bien avant, généralement au moment du traumatismes sexuel. De nombreux travaux, portant malheureusement sur de trop petits nombres de cas, font état de troubles principalement génito- urinaires ou digestifs dans les suites d’abus sexuel, et perdurant longtemps après le traumatisme sans support lésionnel particulier.
L’agressivitéLe plaisir est remplacé par l’agressivité. Une agressivité que l’on tourne contre soi même, en multipliant les troubles des conduites alimentaires, les addictions, alcool, drogues, la prostitution. Contre soi aussi, les somatisations multiples.
Il arrive aussi que l’agressivité soit dirigé contre l’autre et elle se marquera par du vaginisme, de l’homosexualité. Quand l’agressivité devient plus globale, elle prendra
le caractère de conduites antisociales ou borderline, particulièrement fréquentes. L’adulte qui a imposé sa violence à l’enfant lui a aussi ouvert la voie de la transgression et du franchissement des limites.La douleurQuand le plaisir survient, il se fait culpabilité et se métabolise en douleur. Les femmes victimes d’abus sexuels décrivent souvent des pleurs incoercibles lorsque le plaisir survient. Ou alors, c’est la douleur qui vient tout submerger, une douleur déclinée sous forme de dyspareunies, vulvodynies, vaginites qui n’en finissent jamais.
Au delà du désir et du plaisir : un corps désinvesti
La construction du corps érotique se fait à partir des expériences vécues par le corps physiologique. Christophe Dejours nous le rappelle « Le développement du corps érotique est le résultat d’un dialogue entre l’adulte et l’enfant, autour du corps et de ses fonctions »(10). Mais ici, le jeu s’est arrêté le jour du traumatisme. La violence introduite par l’adulte dans ce dialogue essentiel détruit à tout jamais le développement de la relation.
La violence subie va définitivement et irréparablement transformer l’expérience affective du corps. Le corps violé, abusé, incestué, sera un corps qui ne parvient plus à sentir la vie en soi, un corps anesthésié, paralysé. Il sera un corps adulte frigide, impuissant, incapable d’échanger avec le corps de l’autre, incapable de trouver le chemin du désir et du plaisir partagé.
Le jour du traumatisme, et a fortiori lors de traumatismes répétés, quelque chose de soi s’est définitivement retiré de la zone, des zones du corps touchées par l’autre, par l’agresseur. Une zone, des zones, oblitérées, devenues froides et lisses, vidées de tout investissement affectif. Des zones devenues froides, sur lesquelles plus rien d’érogène ne pourra jamais s’inscrire. Des zones protégées en écriture à tout jamais. En tous cas de cette écriture bien particulière qui fait que l’on ne fait qu’un avec son corps, que l’on peut l’investir, que l’on aime le sentir vivre et vibrer, que l’on s’y sent suffisamment chez soi pour en jouer avec l’autre, pour échanger de l’amour avec l’autre.
Les chemins de la guérison
La guérison est possible. Elle demande du temps, une thérapie, le concours du partenaire quand il y en a un. Grâce à lui, à son amour, une autre image de l’homme peut se mettre en place et remplacer celle du violeur, de l’abuseur. Il sera l’irremplaçable support par lequel le changement peut s’opérer. Le changement passe par un corps à investir, une identité à construire, une relation à l’autre, aux autres à transformer. Guérir, c’est transformer peu à peu l’expérience affective du corps. C’est apprendre à aimer la vie qui s’éprouve en soi. C’est apprendre à se sentir libre d’accepter ou de refuser le désir de l’autre, c’est apprivoiser le plaisir.
Pour guérir, il faut cesser d’être victime.