L'Etranger

Je vois assez souvent ses volets descendus
Quand l'aurore à nouveau parle d'une nuit morte,
Complice des plaisirs secrets et défendus,
Et quand la nuit revient, il entrouvre sa porte,
Regarde chaque rue, observe tous les toits,
Avant de s'en aller non loin de sa demeure
Humer la solitude avant que sonne l'heure
Où revient l'ennemi bruyant et discourtois.
Quand l'aurore à nouveau parle d'une nuit morte,
L'étranger se tapit dans l'ombre qui l'emporte.

J'entends assez souvent ses silences rompus
Quand il métamorphose à nouveau son visage
Pour y poser des traits bellement corrompus,
Et cacher son mystère et donner le message
Qui convient à l'instant - est-ce un don, pensez-vous ?
On ne voit qu'un seul oeil et qu'une commissure,
Car une ombre s'accroche à sa noire blessure
Dont l'odeur est semblable à celle des gens fous.
Quand il métamorphose à nouveau son visage,
L'étranger leur paraît aimable et même sage.

Parfois l'ombre se meut, guère seul il ne vit,
Quand je cherche son âme, hélas elle est éparse
Et je crois même encor qu'il en cherche une aussi,
Une unique, une pure, une simple comparse,
Dont le temps ne se joue ou ne tord, ou n'altère
Qu'en rêve ou qu'en fantasme ! Hélas, tel n'est le cas...
Et les fils attachés à ses mains et ses bras
L'amèneront encore à mimer la colère !
Quand je cherche son âme, hélas elle est éparse,
L'étranger porte en lui cette cruelle garce.

Mais il cherche sans fin des réponses, des mots
Pour comprendre ce que lui dit l'éclat de verre,
Car il sait qu'il lui parle, et qu'il juge ses maux,
Mais ne sachant que dire, il préfère se taire
Et poursuit son chemin, coeur, mains et bras meurtris,
Tous recouverts du sang de la pauvre innocence
Assise à ses côtés, mais dont la bienfaisance
N'a pas su le guider ailleurs que dans les cris,
Pour comprendre ce que lui dit l'éclat de verre,
L'étranger doit fouler l'inaccessible terre.

L'étranger n'entend plus que des antagonismes,
Qu'une cacophonie - un silence pour ceux
Qui ne voit qu'un passant aux yeux mornes et creux -
L'étranger ne sait plus quels sont ses mécanismes
Et répète "qui-suis-je" à ne plus en dormir
Et les volets fermés laissent une lumière
Trahir son insomnie et l'incessant soupir
De son âme perdue, infâme et familière.
Aujourd'hui de nouveau seul avec l'étranger,
Ma plume a déposé des vers sur le danger.